Les mobilités des salariés français : entre réalités et fantasmes

Par Nawal Mrani Alaoui. Directrice Stratégie Sociale, People Advisory Services, EY France

Peu attractive et souvent même redoutée, la mobilité pour les salariés français n’est pas chose aisée, elle est même le fruit de nombreux paradoxes. Par exemple, jamais les techniques de communication et les moyens de transports n’ont été aussi variés et développés et pourtant la mobilité géographique et internationale demeurent anecdotiques pour une large partie des salariés français. Autre exemple, même si la majorité des salariés français s’accorde sur le caractère obsolète du modèle de métier unique pour la vie, nous sommes encore très nombreux à redouter la mobilité fonctionnelle. Sur ce dernier point, 77% des entreprises considèrent que leurs collaborateurs ne sont pas mobiles. C’est le constat que dresse l’étude réalisée par le cabinet Ernst & Young, sur la base de 109 monographies d’entreprises.   

Etat des lieux des mobilités

Intitulée «Les mobilités des salariés français : entre réalités et fantasmes», l’étude du cabinet Ernst & Young a pour objectif d’apporter un éclairage sur la pratique des mobilités en entreprise par la réalisation de 109 monographies impliquant Directeurs, Directrices et Responsables des Ressources Humaines, et Directeurs, Directrices et Responsables des affaires sociales.

Sur les 109 monographies d’entreprises, réalisées par l’équipe People Advisory Services, 81% des entreprises disposent d’une politique de mobilité officielle et formalisée. Cependant, 50% indiquent ne pas disposer de suffisamment d’outils et dispositifs en matière de mobilité au sein de leur entreprise. Par ailleurs, 49% considèrent que la politique de mobilité de l’entreprise n’est pas suffisamment connue des collaborateurs. Il reste donc encore beaucoup de travail à faire pour que la mobilité des salariés devienne plus naturelle dans les entreprises.

Parmi les facteurs déterminants à la réussite d’une politique de mobilité, les acteurs RH indiquent prioritairement la bonne communication sur les dispositifs existants ainsi qu’un accompagnement exhaustif de la mobilité (tant sur la dimension humaine que financière). Les répondants sont parfois sceptiques en indiquant que pour être vraiment attractive, la mobilité doit s’accompagner d’une véritable évolution de carrière, sans quoi les salariés ne s’y intéressent pas, les freins étant trop nombreux par ailleurs. 

Les freins et les préjugés autour de la mobilité

Si les étudiants français sont friands des périodes à l’étranger pendant leurs études, il y a un renversement complet à « l’âge adulte ».  En effet, certains éléments laissent apparaitre une forme de défiance vis-à-vis de la mobilité professionnelle. Sur la base des résultats issus des monographies, les principaux freins à la mobilité évoqués sont les attaches familiales (80%) ainsi que le logement (72%). 

Outre ces perceptions individuelles, les différents types de mobilités souffrent de nombreuses idées reçues. Ainsi, la mobilité fonctionnelle serait uniquement réservée « aux bons éléments », or si la catégorie professionnelle joue un rôle certain sur la mobilité fonctionnelle, d’autres facteurs tels que l’ancienneté et la situation géographique ont une influence sur ce type de mobilité. 

Autre idée reçue, la mobilité géographique serait une affaire de jeunes et de personnes sans attache. Si l’âge est un facteur déterminant en ce qui concerne ce type de mobilité, la capacité des salariés à changer de zone est aussi conditionnée par la dimension régionale et le dynamisme de la région concernée. 

Enfin, en ce qui concerne la mobilité internationale, cette dernière serait réservée aux hauts profils qui maitrisent l’anglais ou une langue étrangère rare. Or, lors des monographies menées auprès des 109 entreprises, ce sont les compétences comportementales (43%) qui sont plebiscitées dans le cadre de cette typologie de mobilité, bien plus que les compétences linguistiques (17%), managériales (16%) ou techniques (24%).

Indépendamment de ces idées reçues, les dispositifs de mobilités ne sont pas toujours adaptés ni efficaces pour les populations actives. Si la mobilité interne est totalement inscrite dans les mœurs des entreprises françaises, tel n’est pas le cas d’autres dispositifs comme le prêt de compétences ou encore la mobilité volontaire externe sécurisée, connus par moins de la moitié des entreprises interrogées.

Concernant les populations en recherche d’emploi, l’absence de mobilité peut constituer un véritable frein au retour vers l’emploi. En effet, d’après les études de Pôle emploi, le principal critère de recherche d’un demandeur d’emploi sur cinq est la proximité géographique entre le lieu de travail et le domicile. Certains outils ont d’ores et déjà été mis en place par Pôle emploi afin de favoriser la mobilité (remboursement des frais de déplacement ou d’hébergement), mais d’autres mesures devraient continuer à voir le jour compte tenu des attentes fortes sur le sujet.  

L’opportunité de la mobilité

L’étude menée par Ernst & Young met l’accent sur l’aspect gagnant-gagnant d’une mobilité. Du point de vue des salariés, la mobilité peut être perçue comme une forme de reconnaissance de leur valeur ajoutée mais également comme un levier de développement de leur employabilité. Du point de vue de l’employeur, le transfert de compétences est un atout considérable. En effet, à cette occasion le salarié développe de nouvelles compétences, qu’il pourra par la suite partager avec les autres salariés. La mobilité permet par ailleurs de contribuer à la fidélisation des salariés ayant été accompagnés de manière exhaustive sur leur mobilité, notamment via des formations ad ’hoc lors de la prise de poste en cas de mobilité fonctionnelle, et via des mesures d’accompagnement adaptées aux changements d’environnement géographique : visite de la future ville d’accueil, financement temporaire en cas de double loyer, accompagnement à la recherche d’emploi pour le conjoint, etc. Egalement, la mobilité est un levier d’attractivité des « Millénials », donnant aux entreprises une image « moderne et active », ouvrant des perspectives d’évolution à l’intérieur de l’entreprise.

Les pistes à explorer pour dynamiser la mobilité

L’étude réalisée par le cabinet Ernst & Young propose d’explorer certaines pistes pour dynamiser la mobilité, notamment en comparant les dispositifs et initiatives mis en place à l’étranger. Partant du premier constat que seules 23% des entreprises indiquent que les managers exercent véritablement leur rôle dans le parcours de mobilité des collaborateurs, les recommandations s’articulent tout d’abord autour du changement culturel que doivent opérer les parties prenantes.

Est ainsi mis en avant le rôle central que doit tenir le manager dans le parcours de mobilité. Pour ce faire, le manager doit faire preuve d’empathie et d’écoute, prendre en compte les besoins individuels des membres de son équipe, créer un climat de confiance favorable au développement des compétences et mettre en place un plan d’accompagnement sur mesure. La mobilité professionnelle devient ainsi de plus en plus un outil stratégique dont la gestion ne repose plus exclusivement sur les RH, mais également sur les managers opérationnels qui se doivent de devenir des coachs de carrière. Le rôle de la Direction des Ressources Humaines ne doit cependant pas être oublié. Afin d’aider cette dernière dans sa mission d’accompagnement, il est nécessaire qu’elle dispose d’outils adaptés pour dynamiser et encourager la mobilité des salariés.

Enfin, l’étude incite à la mise à disposition de moyens supplémentaires, notamment en termes de moyens de transport et d’accessibilité des territoires, mais aussi en matière de conditions de travail (ex : octroi de jours de télétravail supplémentaires pour les salariés en mobilité) et d’aides financières pour permettre aux salariés de s’engager sereinement dans une démarche de mobilité.

Finalement, l’analyse des résultats des monographies d’entreprises et les échanges avec la communauté des directions des ressources humaines conduisent à admettre que les mobilités des salariés français demeurent une réalité encore peu pratiquée. Les nombreux changements qu’une mobilité suggère, tant sur un simple changement de poste que sur un changement de lieu géographique, sont trop engageantes pour que la mobilité se fasse naturellement, sans difficulté et sans sacrifice.

Il existe des moyens de développer ces mobilités par une politique d’entreprise généreuse, co-construite avec les partenaires sociaux et incarnées par les lignes managériales, mais cela demandera du temps et de la pédagogie pour que la culture française de la mobilité professionnelle évolue vers une normalité des pratiques. 

Aujourd’hui, les grandes entreprises et les grands groupes ont le monopole des politiques sophistiquées et bien pensées de mobilités professionnelles, mais la grande majorité des salariés français travaillent dans des entreprises de moindre taille, moins bien préparées et moins curieuses quant aux opportunités de mobilités professionnelles de leurs salariés. Le pari est pourtant souvent « gagnant-gagnant » puisque les mobilités professionnelles sont un formidable vecteur de développement professionnel pour les salariés et de transfert des bonnes pratiques pour les employeurs. Les salariés et les employeurs ont une convergence d’intérêts à promouvoir les mobilités fonctionnelles, géographiques et internationale, et sans doute seront-ils bousculés par différents phénomènes qui se développent ses dernières années : les attentes fortes des « Millenials » en matière de mobilités, la réduction du facteur géographique à travers le développement du télétravail ou encore l’action des pouvoirs publics locaux pour développer l’attractivité de leur territoire. 

Mots-clés: MagRH8, MOBILITE, ETUDE

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